Dans un arrêt du 14 juin 2012, la CJUE a
jugé que la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives dans les contrats conclus
avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une
réglementation d’un État membre qui permet au juge national de réviser le
contenu d’une clause abusive figurant dans un contrat B to C.
En
droit espagnole, l’article 812 du Code de procédure civile permet de saisir le
tribunal compétent d’une demande afin que soit ordonné au débiteur le paiement d’une dette pécuniaire, échue, exigible et ne
dépassant pas 30 000 euros, dès lors que le montant de cette dette est
dûment attesté. Si une telle demande est introduite conformément à ces
exigences, le débiteur dispose, selon l’article 815,
paragraphe 1, du même Code, d’un délai de 20 jours pour payer ou s'opposer à la
procédure. Dans ce dernier cas, l’affaire
est jugée dans le cadre d’une procédure
civile ordinaire.
Néanmoins, dans le cadre d’une procédure
d’injonction de payer, la législation espagnole n’habilite pas le juge à
déclarer, in
limine litis ni à aucun autre moment de la
procédure, d’apprécier le caractère abusif d’une clause contenue dans un
contrat B to C. Une telle appréciation n’est admise que dans le cas où le
consommateur s’oppose au paiement ou en cas de
contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public.
Qui plus est, lorsqu’un juge espagnol est habilité à constater la
nullité d’une clause abusive insérée dans un contrat B to C, la réglementation
nationale lui permet de réviser ladite clause au lieu d’en écarter simplement
son application à l’égard du consommateur.
Le 28 mai 2007, M. Calderón Camino a conclu un contrat de prêt
pour un montant de 30 000 euros avec la banque espagnole Banesto pour l’achat
d’une voiture devant «subvenir aux besoins du ménage». Le taux de rémunération
était fixé à 7,950 %, le TAEG (taux annuel effectif global) à 8,890 %
et le taux des intérêts moratoires à 29 %.
Bien que l’échéance du contrat ait été fixée au 5 juin 2014,
Banesto a considéré que celui-ci avait expiré avant cette date car, au mois de
septembre 2008, les remboursements de sept mensualités n’avaient pas
encore été effectués. Ainsi, le 8 janvier 2009, la banque a introduit
devant le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell (Espagne) une demande
d’injonction de payer portant sur la
somme de 29 381,95 euros, correspondant aux mensualités impayées, majorées des intérêts accordés par
les parties et des dépens. Le 21 janvier
2010, cette juridiction a rendu une ordonnance dans laquelle a déclaré d’office
la nullité de la clause relative aux intérêts moratoires au motif que celle-ci
présentait un caractère abusif. Elle a en outre diminué le taux des intérêts
moratoires de 29 % à 19 % et a exigé que Banesto effectue un nouveau calcul du
montant des intérêts.
Banesto a interjeté appel de ladite ordonnance devant l’Audiencia
Provincial de Barcelona en faisant valoir, en substance, que le Juzgado de
Primera Instancia n° 2 de Sabadell ne pouvait, à ce stade de la procédure, ni
constater d’office la nullité de la clause contractuelle relative aux intérêts
moratoires, considérée par lui comme abusive, ni procéder à la révision de
celle-ci. Eprouvant des doutes en ce qui concerne la correcte interprétation du
droit de l’Union européenne, notamment la directive 93/13 sur les clauses
abusives, l’Audiencia Provincial de Barcelona a décidé de surseoir à statuer et
de demander à la Cour de justice de juger, d’une part, si la directive sur les
clauses abusives s’oppose à une
réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne
permet pas au juge saisi d’une demande
d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis et à tout
moment de la procédure, le caractère abusif d’une clause
insérée dans un contrat de consommation. D’autre part, la juridiction espagnole
voudrait savoir si la réglementation espagnole permettant aux juges non
seulement d’écarter mais également de réviser le contenu des clauses abusives
est compatible avec la même directive.
Sur la première question, la Cour a affirmé que régime procédural mis en place par le
Code de procédure civile espagnol, instituant une impossibilité pour le juge
saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, alors même
qu’il dispose déjà de tous les éléments de droit et de fait nécessaires à cet
effet, le caractère abusif des clauses contenues dans un contrat B to C, en l’absence d’opposition formée
par ce dernier, est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la
protection voulue par la directive 93/13. Et la Cour d’ajouter que, compte tenu
du déroulement et des particularités de procédure d’injonction de payer telle
que décrite dans le Code de procédure civile espagnol, « il existe un risque non négligeable que les consommateurs
concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai
particulièrement court prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être
dissuadés de se défendre eu égard aux frais qu’une action en justice
entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce qu’ils
ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits, ou encore en raison du
contenu limité de la demande d’injonction introduite par les professionnels et
donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent. Ainsi, il
suffirait que les professionnels engagent une procédure d’injonction de payer
au lieu d’une procédure civile ordinaire pour priver les consommateurs de la
protection voulue par la directive». En conséquence, la Cour a constaté que
la réglementation espagnole sur l’injonction de payer « n’apparaît pas conforme au principe
d’effectivité, en ce qu’elle rend impossible ou excessivement difficile, dans
les procédures engagées par les professionnels et auxquels les consommateurs
sont défendeurs, l’application de la protection que la directive 93/13 entend
conférer à ces derniers ».
S’agissant de la question de savoir si la réglementation espagnole
permettant aux juges non seulement d’écarter mais également de réviser le
contenu des clauses abusives est compatible avec la directive 93/13, la CJUE a
jugé que « l’article 6, paragraphe 1, de
la directive 93/13 ne saurait être compris comme permettant au juge national,
dans le cas où il constate l’existence d’une clause abusive dans un contrat
conclu entre un professionnel et un consommateur, de réviser le contenu de
ladite clause au lieu d’en écarter simplement l’application à l’égard de ce
dernier ». En effet, estime la Cour, une
telle faculté, si elle était reconnue au juge national, « contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les
professionnels par la pure et simple non-application à l’égard des
consommateurs des clauses abusives ».