mercredi 25 septembre 2013

Nullité pour illicéité de l’objet de la cession d’un fichier de clients non déclaré auprès de la CNIL

Aux termes de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, le responsable du traitement[1] doit, avant de procéder au traitement des données à caractère personnel, accomplir certaines formalités qui ont pour objectif de permettre et de faciliter le contrôle du respect des principes énoncés par les dispositions relatives à la protection des données personnelles. Ces formalités sont divisées, selon la dangerosité des traitements, en deux catégories : l’autorisation et la déclaration.

L’autorisation préalable de la CNIL concerne certains traitements spécifiquement identifiés, dont la mise en œuvre est susceptible de présenter des risques particuliers au regard des droits et libertés des personnes concernées.
S’agissant de l’obligation de déclaration préalable, il convient de distinguer entre deux régimes différents : la déclaration normale et la déclaration simplifiée, qui concerne les catégories les plus courantes de traitements de données, dont la mise en œuvre n’est pas susceptible de porter atteinte aux droits et libertés des personnes concernées.

L’inobservation des formalités préalables au traitement de données à caractère personnel est sanction pénalement sur le fondement de l’article 226-16 du Code pénal, lequel prévoit, en son alinéa premier, que « le fait, y compris par négligence, de procéder ou de faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans qu'aient été respectées les formalités préalables à leur mise en œuvre prévues par la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 Euros d'amende ».

Dans un arrêt en date du 25 juin 2013[2], la chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé que la vente par une société d’un fichier de clients informatisé non déclaré auprès de la CNIL encourt la nullité pour illicéité de l’objet.
Les faits de l’espèce qui ont conduit à cet arrêt étaient les suivants : une société qui exploitait un fonds de commerce de vente de vins a cédé son portefeuille de clientèle comprenant une liste d'environ 6000 clients référencés dans un fichier complet, manuscrit et classé, des classeurs ordonnés, un fichier de clients informatisé sous logiciel windows, et une ligne téléphonique.

L’acheteur souhaitant annuler la vente et se voir rembourser en conséquence des sommes versées lors de la cession, l’acheteur a invoqué, notamment, l’illicéité de l’objet de la vente, le fichier de clients  automatisé n’ayant pas été déclaré à la CNIL.

En appel, l’acheteur s’est vu débouté de sa demande, la Cour d’appel de Rennes estimant que « la loi n'a pas prévu que la sanction de l'absence de déclaration du traitement du fichier clients soit la nullité du fichier, son illicéité, de sorte que la vente du fichier portant sur ce fichier serait nulle, pour l'illicéité d'objet, ou pour illicéité de cause »[3].

Ce raisonnement a été rejeté par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Sur le fondement des articles 1128 du code civil et 22 de la loi informatique et libertés, elle a jugé que : « attendu qu'en statuant ainsi, alors que tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL et que la vente par la société […] d'un tel fichier qui, n'ayant pas été déclaré, n'était pas dans le commerce, avait un objet illicite, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

Les professionnels qui envisageront de procéder à des opérations ayant pour objet, exclusif ou non, ou ayant pour effet la cession de fichiers de clientèle, devront s’assurer préalablement de la licéité de ces fichiers au regard des dispositions de la loi informatique et liberté, plus particulièrement celle relatives aux formalités préalable au traitement de données à caractère personnel.  



[1] Selon l’article 2 de la loi informatique et libertés,  on entend par « traitement » « toute opération ou tout ensemble d'opérations portant sur [des données à caractère personnel ], quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction ».
[3] CA Rennes, 3ème Chambre commerciale, 17 janvier 2012, RG n° 10/07599.