jeudi 17 mai 2012

Opposabilité d’une clause attributive de compétence conclue en ligne (CA de Pau, 1ère ch., 23 mars 2012, Sébastien R. c/ Facebook)

Dans un arrêt du 23 mars 2012, la Cour d’appel de Pau a réputé non écrite la clause attributive de compétence aux tribunaux de Californie contenue dans les CGU du site internet Facebook aux motifs qu’elle n’est pas facilement identifiable et lisible.
Pour qu’elles puissent faire partie intégrante du contrat, et pouvoir faire la loi des parties, les conditions générales du contrat doivent avoir été portées à la connaissance du contractant, préalablement ou au plus tard au moment de la conclusion du contrat[Quentin VAN ENIS, « L’opposabilité des conditions générales off-line et on-line : de la suite dans les idées ? » in Les conditions générales, Questions spéciales, Collection du jeune barreau de Mons, éd. Anthémis, 2009, pp. 9-34.]. En pratique, on peut distinguer deux principaux mécanismes permettant, dans le cadre de contrats conclus par voie électronique, de communiquer ses conditions contractuelles : le browse-wrap agreement et le click-wrap agreement [Yannick COOL, « Aspects contractuels des licences des logiciels libres : les obligations de la liberté », in Les logiciels libres face au droit, Cahiers du CRID, n° 25, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 171, n° 273 et s.]. Dans le cas du browse-wrap agreement, le vendeur ou prestataire de services se contente de renvoyer, le plus souvent à l’aide d’un lien hypertexte affiché au bas de la page d’accueil ou sur chacune des pages du site, aux conditions contractuelles sans demander à son cocontractant de valider quoi que ce soit. En revanche, la technique du click-wrap agreement implique une action positive de la part du cocontractant. Avant de pouvoir conclure le contrat, ce dernier est invité à faire défiler les conditions contractuelles jusqu’au bout et à cliquer sur un bouton désigné par « J’accepte » ou une formule similaire.
La technique du click-wrap agreement serait donc préférable à celle du browse-wrap agreement. Elle présente certaines garanties, surtout lorsqu’il s’agit, pour le commerçant en ligne, de prouver que son cocontractant a eu la possibilité effective de prendre connaissance de ses conditions contractuelles. Notons qu’il n’est pas requis, pour que soit satisfaite l’obligation de communiquer les conditions contractuelles, que le consommateur en ait effectivement pris connaissance, mais simplement qu’il en ait eu la possibilité [TGI Paris, 4 février 2003, 1re ch. soc., 4 févrrier 2003, Association Familles de France c/ SA Pere-Noel.fr et SA Pere-Noel.fr, JurisData n° 2003-218093 ; D. 2003, AJ. p. 762, obs. Cédric MANARA; JCP G 2003, II, 10079, obs. Philippe STOFFEL-MUNCK; Comm. Com. électr. 2003, comm. 42.]. Par conséquent, si le consommateur clique sur le bouton « J’accepte » sans prendre la peine de lire les conditions contractuelles, il doit assumer les conséquences de son attitude [Quentin VAN ENIS, op. cit. ]. Ceci sous réserve néanmoins que les conditions contractuelles soient mises en ligne dans une forme simple et raisonnablement accessible, et rédigées dans une langue aisément compréhensible pour un consommateur moyen. Ainsi, comme un auteur l’a fait remarquer, « les conditions générales se présentent souvent sous une forme rébarbative (longues énumérations, multiples renvois et exclusions,…) et largement incompréhensible pour le non-juriste » [ Étienne MONTERO, Les contrats de l'informatique & de l'Internet, éd. Larcier, 2005, n° 168, p. 222 ; dans le même sens : Vincent GAUTRAIS, « L’encadrement juridique du “cyberconsommateur” québécois » , in Vincent GAUTRAIS (dir.), Droit du commerce électronique, Montréal, Thémis, 2002, pp. 261-302, spéc. p. 268] ; le consommateur se trouve, de ce fait, malgré la possibilité technique de prendre effectivement connaissance des conditions contractuelles, dans l’impossibilité de s’engager en toute connaissance de cause. L’arrêt que nous allons présenter ici en est une bonne illustration.
Les faits de l’espèce sont les suivants : un internaute, M. Sébastien R., avait ouvert un compte sur le réseau social Facebook à la fin de l’année 2007 et n’a plus eu la possibilité d’y accéder à compter du mois de juin 2009, sans aucun avertissement préalable de ce dernier. Il a été réactivé en janvier 2010, mais de manière restreinte pour être ensuite définitivement désactivé. En juin 2009, M. Sébastien R. a créé un nouveau compte avec une autre adresse e-mail mais a constaté que ce compte avait également été désactivé à compter du mois de juin 2010. Il a ensuite tenté d’ouvrir mais en vain, d’autres comptes sous deux autres adresses. C’est dans ces conditions qu’il a saisi la juridiction de proximité de Bayonne afin d’obtenir paiement de la somme de 1 500 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi suite à la fermeture abusive dudit compte. Facebook a soulevé l’exception d’incompétence du tribunal français, en application de ses conditions générales d’utilisation. Et la juridiction de proximité, par jugement du 18 octobre 2011, lui a donné gain de cause. M. Sébastien R. s’est alors tourné vers la cour d’appel de Pau afin qu’elle tranche cette question de procédure. Dans un arrêt du 23 mars 2012, la Cour d’appel de Pau a contredit le jugement de première instance et a affirmé que le juge de proximité de Bayonne est parfaitement compétent pour connaître du litige en application de l’article 46 du CPC, lequel prévoit que le demandeur peut saisir le tribunal du lieu où le dommage a été saisi. En conséquence, elle a renvoyé l’affaire devant la juridiction de proximité de Bayonne pour y être jugée au fond.
Pour aboutir à cette décision, la Cour a commencé par rappeler les dispositions de l’article 48 CPC en vertu desquelles « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée. ».
En conséquence, elle a estimé que la clause attributive de compétence en faveur des tribunaux de Californie inscrite dans les CGU de Facebook était « noyée dans de très nombreuses dispositions dont aucune n'est numérotée. Elle est en petits caractères et ne se distingue pas des autres stipulations. Elle arrive au terme d’une lecture complexe de douze pages format A4 pour la version papier remise à la cour et la prise de connaissance de ces conditions peut être encore plus difficile sur un écran d’ordinateur ou de téléphone portable, pour un internaute français de compétence moyenne ». La Cour a souligné par ailleurs qu’ « il suffit d’une simple et unique manipulation lors de l’accès au site (clic) et non d’une signature pour que le consentement de l’utilisateur soit considéré comme acquis », et en a déduit qu’en l’espèce, l'attention de M. Sébastien B. n'était pas "particulièrement attirée sur la clause dont se prévaut la société Facebook […] puisque lors de cette manipulation la clause n’[était] pas facilement identifiable et lisible ». Enfin, au moment de l’inscription de M. Sébastien R., les CGU de Facebook « n’existaient que dans une version en anglais et la société Facebook ne démontre pas contrairement à ce qu’elle prétend, que celui-ci maîtrisait cette langue ». Dès lors, constate la Cour, « il ne peut être considéré qu’il s’est engagé en pleine connaissance de cause et la clause attributive de compétence doit être réputée non écrite ».